Le Cnes devant la justice pour destruction d’espèces protégées au Centre spatial guyanais

À partir de mars 2022, le Cnes a lancé des opérations de réhabilitation du pas de tir pour accueillir Callisto, une fusée expérimentale réutilisable, ainsi que plusieurs plateformes destinées à de petites fusées privées. Problème : ces travaux ont été entrepris avant même l’obtention des autorisations administratives. Résultat, selon les contrôles effectués sur place, au moins quatre espèces protégées ont vu leur habitat détruit, parmi lesquelles le leptodactyle ocellé, une grenouille rare protégée depuis 2020.
Plusieurs courriers de la Direction générale des territoires et de la mer (DGTM), sous l’autorité du préfet, avaient pourtant rappelé au Cnes que les chantiers ne pouvaient démarrer en l’état. Malgré ces avertissements, les terrassements ont continué. Des mails internes, révélés par l’AFP, montrent que des impératifs économiques ont pesé lourd : « Tout arrêt industriel aurait un impact financier. Sauf demande explicite, nous maintenons ces travaux », écrit ainsi une responsable du projet en mars 2022. Ce n’est qu’en septembre de la même année que la préfecture a imposé un arrêt officiel des travaux.
L’affaire ne s’arrête pas là. Lors d’un contrôle en août 2022, toujours selon l’AFP, les inspecteurs découvrent que le Cnes a aussi lancé sans autorisation un chantier de parc photovoltaïque, malgré la présence d’espèces protégées identifiées dès 2021. Selon l’Office français de la biodiversité (OFB), ce sont plus de deux hectares d’habitats naturels, abritant huit espèces protégées, qui ont été détruits.
Sur les 650 km² de savane littorale du territoire de la base spatiale, l’un des écosystèmes les plus riches de Guyane, on recense 16 % de la biodiversité du territoire, dont une concentration rare de jaguars. Mais ce n’est pas la première fois que l’agence spatiale est épinglée : en 2019 déjà, des défrichements non déclarés avaient faussé des inventaires écologiques.
La pression économique et politique autour du spatial européen pourrait expliquer cette précipitation. La réhabilitation du pas de tir « Diamant » est évaluée à 50 millions d’euros, financés dans le cadre du plan France Relance 2030. Quant au parc photovoltaïque, il a bénéficié d’une subvention de cinq millions d’euros, à condition que les travaux soient terminés avant fin 2023. Un calendrier serré qui, selon les observateurs, a conduit le Cnes à négliger ses obligations environnementales.
Aujourd’hui, la justice enquête sur ces atteintes à la biodiversité et sur les manquements du CNES.
crédit photo : ESA-Stephane Corvaja